10. juil., 2015
L'été. Le canari dans sa cage, sur le rebord de la fenêtre de la cuisine s'appelait Chips. Nous avions vue sur une petite cour cimentée, j'y jouais à la marelle.
Mais chez les voisins, l'ivrogne hurlait après sa femme, criait que c'était une sale boche, et qu'il aurait mieux fait de la laisser en Allemagne. Les enfants étaient terrorisés et les parents les rassuraient en leur disant que ça va se calmer.
Quand je rencontrais l'ivrogne dans la rue, il était doux et très gentil, mais il me faisait peur. Parfois il était triste et il disait que c'etait parce qu'il n'avait pas d'enfants. Sa gamelle en bandoulière et sa fleurette jaune à la boutonnière m'effrayaient. Avec d'autres petites filles, nous nous imaginions qu'il enlevait des enfants en cachette de sa femme, qu'il les enfermait dans une cave pas trop loin d'un bistrot, et qu'il allait secrètement les nourrir . Et que c'était pour cela qu'il battait sa femme.
Moi, ce qui m'impressionnait le plus, c'était l'idée d'être enfermée et nourrie de force.
La nourriture n'exerçait aucun attrait sur moi. J'ai évolué depuis. Manger était une corvée nécessaire par laquelle il fallait passer pour ne pas inquiéter les parents. Mais surtout, je craignais Mutti, ma grand-mère. Chez elle,juchée en haut du tabouret, mes pieds ne touchaient pas le sol.Elle utilisait maints artifices pour me faire oublier que j'étais en train de manger. Ainsi, la fourchette alourdie de nourriture passait pour être la voiture du Général De Gaulle qui rentrait au garage dans ma bouche. Quant cet artifice ne prenait plus, c'est à dire au bout de deux ou trois bouchées, elle me disait que si je ne mangeais pas, j'allais tomber malade.
Et je m'imaginais tomber du tabouret sur le carrelage glacé,inerte, malade de n'avoir pas mangé(et surtout de n'avoir pas obéi).
"Les enfants bien élevés doivent manger de tout". Je pensais qu'a force de manger, je m'habituerais aux poisons comme Mithridate et finirais par y être indifférente. Les principaux poisons incriminés étaient: le riz, les endives cuites, les tomates, le pudding de Mme Plau, les poireaux,...
Je me créais des paradis artificiels avec les moyens du bord,mes rêves m'envahissaient et ne me quittaient plus.
Quand Mutti venait de recevoir son injection de morphine, elle chantait souvent: "Am Brunen vor dem Tore...."Un jour, alors que Maman repassait du linge, j'ai entendu à la radio Gérard Souzay chanter des Lieder de Schubert. Maman les fredonnait volontiers.
Derniers commentaires
31.12 | 16:15
Merci à toi! Bonne année !
gmail
31.12 | 15:50
31 Décembre 2921 16h
Merci pour les textes et les oeuvres aussi diverses que variées.
Un plaisir renouvelé chaque année.
A l'année prochaine dans 8h !!
🦔
10.01 | 23:26
Des écritures émouvantes, des toiles qui invitent aux voyages, la tendresse du mot et du trait sans cesse renouvelé.
Il y a toujours a découvrir.
Merci.
21.03 | 11:49
Heureuse de découvrir votre site. Il me plaît.
Hilda Damman